mais alors, cette Mireille que j’évoque dans ma précédente entrée, rose(s), a-t-elle vraiment existé ou ne serait-elle que le fruit de mon imagination? bien réelle, certes, si elle vit encor aujourd’hui elle est dame âgée, mais dont le souvenir que j’en ai a été déformé par le temps et embelli par mon imagination,
c’est la veille ou l’avant-veille de mon départ hors de la province, la famille à la remorque, qu’elle s’est pointée chez moi pour me remettre le marque-page au parfum d’ylang-ylang et me dire adieu, je l’aurais retenue si j’avais pu, je l’aurais embarquée dans ma remorque avec les flos et j’aurais laissé la femme derrière, laquelle nous avait jeté un regard croche quand Mireille avant de disparaître m’avait pris dans ses bras pour déposer un baiser en relief sur ma joue,
douce étreinte passagère
frôlement des chairs
feu du désir à l’horizon du temps
vaisseau volage qui a pris le large
sans moi, sinon un morceau de mon coeur
d’ailleurs, soyons honnête, s’appelait-elle vraiment Mireille? je le crois, c’est en tout cas ce nom coloré qui s’est accroché au souvenir du marque-page, je ne peux en être absolument certain, la mémoire est rêves émoussés et réel concassé, Mireille, donc, son nom épanoui en métafores de temps morcelé,
éveil des sens les soirs de veille
soleil de nuit quand la magie émerveille
que de fois, désormais ailleurs, je me suis passé son marque-page sous les narines!
que de fois avant de m’endormir je l’ai vue se balader à la lisière de ma conscience assoupie!
un rêve d’espoir effiloché
une fantaisie d’amour lyrisé
un fantasme de passion tressé
le regret d’une union ratée
nos bureaux se faisaient face de part et d’autre d’une allée centrale, courte, l’allée, étroite, nous n’étions que trois employés dans la pièce modeste d’un building du centre-ville, la boss son bureau vitré en retrait dans ce qu’elle appelait avec humour son cagibi, nous prenions pauses et lunchs sur place, et dans ce temps-là on pouvait encor fumer à l’intérieur, l’autre employé, un homme d’une dizaine d’années notre aîné, son bureau à côté du mien, voyait bien qu’il y avait quelque chose de spécial entre Mireille et moi, il nous taquinait parfois, surtout moi, marié, nous prenions tous les trois le même chemin de retour après le travail, lui nous quittait au bout de quelques rues, puis Mireille continuait seule quand j’arrivais au coin de ma rue quoique, pour des courses au marché plus loin ou plus souvent juste pour être avec elle, je l’accompagnais jusqu’au pont, la regarde le traverser,
auréolée par le soleil
ou dissipée sous la pluie
estompée par le brouillard
ou blanchie sous la neige
flamme dansante au passage des saisons
âme soeur, peut-être, fluide des corps
griserie des esprits dans l’ailleurs évaporé
traces de pas dans la blancheur des amours frivoles
bon, faut dire, je tricote mes souvenirs comme un vieux monsieur qui repriserait ses bas de laine, on a toustes des trous dans nos apparences, on fait semblant que pas, mais en vérité on est transpercé d’irréels, on est des passoires illusoires,
ainsi, ramaillant mes regrets, je prends ma mémoire à deux mains, la secoue bien pour bien la mélanger, la replace dans ma tête, l’ouvre, boîte à surprises illogic et voilà donc ici Mireille, elle pensait se remettre à la broderie, elle en avait déjà fait avec une de ses tantes quand elle habitait encor chez sa mère, le temps passe si vite, elle aimerait aussi écrire des chansons, pas la music, juste les paroles, mais en avait-elle le talent? elle ne le saurait qu’en s’y mettant, en tout cas elle avait quelques idées, moi je disais que j’avais des idées d’espace-temps, que j’écrivais des poèmes comme des escaliers en colimaçon et que j’aurais voulu être un acteur pour ne vivre qu’en apparence et fonder un réel advenu par hasard,
«ah, moi aussi,» disait-elle, «actrice, être une autre en restant soi-même, ça doit être toute une aventure,»
et de fait, empruntant le pont des histoires inventées, nous devenions personnages sur pellicule,
elle amazone comme rose en ses épines
moi chevalier comme atlas en ses cartes
aventuriers dans les soubresauts d’une contrée magic
amants éplorés dans la chambre des faux-fuyants
étrangers d’une nuit, passants de jour
elle beauté plurielle dans une taverne de pirates
moi malfrat sans foi dans un bar enfumé
assoiffés d’aubes, invités du soir
nous spiralions d’un film à l’autre comme deux étoiles autour de notre centre de gravité, protagonistes inséparables souvent malmenés dans la tribulation des scénarions, l’amour au coeur de notre existence, la passion son moteur, et je lui disais qu’un jour c’est sûr je l’écrirais, je réinventerais son nom sur le canevas de mon écriture,
«moi, Mireille, tu parlerais de moi, t’écrirais sur moi?»
«sans faute, le temps effronté efface la romance, il faut donc la ranimer au plus tôt ou au plus tard, ça dépend des marées,»
«toi pis tes marées, tu m’as pas dit une fois qu’y a des marées cosmics?»
«oui, elles durent plus longtemps que les marées terrestres,»
«ben ça c’est sûr, la broderie dans ton dos, faudrait que j’arrive à faire quelque chose comme ça, ça se vendrait bien, ou je le ferais pour moi ou gratis pour un ami ou une amie, mais je vais me remettre au plus simple pour commencer, des fleurs sur un mouchoir comme avec ma tante, ben, c’est pas nécessairement plus simple, mais c’est plus petit que sur le dos d’un jean-coat,»
j’avais la galaxie Andromède brodée dans le dos de mon jean-coat, je l’avais aussi dans ma tête et par retour du rationel côtoyant l’irrationnel nous nous disions au revoir et à demain près du pont, penserait-elle à moi seule chez elle? elle n’avait pas de chum steady, ça je le savais, je continuais jusqu’au marché ou je rebroussais chemin, petits détours avant de rentrer chez moi de l’autre côté du boulevard,
la tête en équivoque je roulais les mécanics
je rêvais en marchant, j’avais tout le temps
le coeur piégé, coeur halo, taxi en maraude
elle, un jour, peut-être, je n’aurais plus le temps
ainsi va m’écriture qu’avec Mireille je m’imagine entier
***
clip : truand assis au fond d’un bar enfumé, un verre de scotch à la main, hanté par les intrigues et les trahisons, le regard perdu sur Sade, il pense à elle, la reverra-t-il? tant de délits, tant de méfaits les séparent…
ah que c’est beau les amours de jeunesse racontés après . A la description que tu en fait ,pas de regret ça aurait pas collé hé hé
la mémoire est sélective avec le temps (tout s’en va ..) elle ne veut retenir que le beau ,le bon ,même les mauvais se dédramatisent ,se joue du réel pour être présentables
fantasmes rétroactifs, rêveries à rebours, ouh ah!
Vrai souvenir ou non ou embellissement de souvenir ou rêve éveillé ?…. Peu importe, c’est beau à lire cet écrit!
un mélange de tout ça, je tricote