crise sanitaire, crise écologique
crise économique, crise géopolitique
crises à répétition pour faire peur
(un·e internaute)
(à quoi j’ajoute) et soumettre
son frère est d’avis qu’elle est égocentric, qu’elle manque d’empathie, c’est vrai, égocentric, oui, et elle n’éprouve pas une grande attirance pour l’humain, mais elle n’est pas égoïste, elle partage si elle le peut, entre autres avec les itinérants qu’elle aide si elle a du change, quand elle en a, elle dit désolé sinon, toujours en souriant, son frère est pareil, lui c’est souvent des cigarettes à défaut de change, ses amies pareil, elles et lui les respectent, elle se sent proche d’eux, ils n’ont rien, elle n’est rien, et elle voit bien qu’une société qui se prétend civilisée et qui traîne la pauvreté dans sa foulée est un mensonge,
une fois, allant seule au supermarché sans savoir si elle y entrerait, un itinérant qu’elle avait déjà aidé tendait la main encor, elle ne pouvait pas, elle n’avait pas de change sur elle, elle en a de moins en moins souvent, tout fonctionne à la carte désormais, au qrcode, bientôt à la puce, toulmonde fiché, mais s’il le voulait elle lui ramèneait un sandwich et une bouteille d’eau du supermarché, oui, il n’avait pas mangé depuis un bon moment, au jambon le sandwich si possible, est-ce qu’il aimait les muffins? oui, aux raisins, bien,
elle n’avait plus le choix, elle ne pouvait pas reculer, rater son coup toute seule elle pouvait vivre avec, faire ça à un itinérant, non, elle serait revenue à lui piteuse, bredouillant des excuses, son anxiété, tu comprends, ou elle aurait fait un détour pour ne pas le rencontrer, espérant peut-être ne plus jamais le revoir, ce qui était improbable malgré les crochets inutiles auxquels elle se serait astreinte, il se déplaçait lui aussi, grotesque alternative et sa déloyauté l’aurait torturée,
elle lui a acheté deux sandwichs au jambon, deux bouteilles d’eau et deux muffins aux raisins,
pas qu’elle a beaucoup d’argent, elle ne travaille pas, elle est incapable de tenir un emploi, s’insérer dans la société pour relever son estime de soi et se sentir normale, ce à quoi l’avait encouragée un programme social auquel elle n’avait pas pu échapper quelques années plus tôt, ça la crispait et c’était nul, elle vit sur l’invalidité gouvernementale, ce n’est pas beaucoup et ça lui suffit, ça paie sa part dans l’appartement, son frère s’occupe du reste, il n’est pas trop regardant sur l’argent,
elle en fait un peu sur le côté en vendant son art numéric, elle crée au stylet sur une tablette grafic connectée à son ordinateur, son frère a payé les deux tiers de son électronic, elle s’est débrouillée pour payer la différence, elle ne vend pas beaucoup, son art n’est pas au goût du jour, pas d’humains dans ses tableaux, ni de paysages, son plus récent : un escalier en métal noir le long d’un mur en briques rouges vers une porte blanche entrouverte sur du bleu, le reste gris pâle comme si l’escalier, le mur et la porte se dressaient dans l’inexistant, son art de l’absence comme elle l’appelle, par contre elle a eu du succès avec ses bras de zombies comme tentacules de putrescence, c’est aussi loin qu’elle a été dans la représentation de l’humain,
elle brode aussi, des appliques, là elle se laisse aller aux motifs guimauves, bouquets de fleurs, scènes de contes de fées, petits animaux adorables, ça se vend bien, quoique pour le temps mis c’est moins payant que les tableaux et surtout moins satisfaisant,
et elle tricote, ça c’est pour elle, des mitaines, un foulard, elle s’est même tricotée un chandail, elle a un cartable bourré de patrons qu’elle avait déniché dans un magasin d’occasion, un thrift store comme on dit, elles y vont de temps en temps entre amies,
elle est sur médication, pas trop forte, sinon elle panique,