australopithèque au temps du pliocène
je suis homo sapiens depuis l’holocène
mon corps s’est transformé au long des âges
j’ai été une espèce à moi seul
et toutes les espèces par sauts quantiques
mon étrange existence a surfé sur les époques
mes semblables ont disparu, j’ai survécu
ai-je rêvé cette démesure?
ai-je voyagé dans l’espace-temps?
ai-je parcouru les dédales de l’évolution?
parfois j’ai souvenir d’odyssées intersidérales
ce labyrinthe, ce fut un long rêve éveillé
un songe rempli d’ombres, de vides, de creux
un coma traversé d’éclairs , d’illuminations
peuplé d’imaginaires et de fantasmes
grouillant de fantômes et de spectres
j’ai appris, j’ai oublié, j’ai appris
j’ai oublié et j’ai appris encor
j’ai été nomade, j’ai été sédentaire
j’ai chassé, j’ai cultivé, j’ai fabriqué
j’ai fait du feu
j’ai tout oublié, j’ai tout réappris
dans ce labyrinthe, de Lucy à moi
dans cette mémoire de millions d’années
perspective vertigineuse, abîme prodigieux
les événements, mes tribulations
les époques, mes avatars, mes vies et mes morts
comme si j’avais été chrysalides, strates, pulsations
se mélangent, s’interpénètrent, se croisent
se confondent et se brouillent
suis-je divinité? je l’ai longtemps cru, j’en ai profité, j’en ai abusé, j’ai été un dieu clément, j’ai été un dieu cruel, j’ai accepté les offrandes, je les ai exigées, j’ai régné sur des générations de tribus, j’étais celui qui ne mourait pas, j’étais l’éternel, le créateur de toutes choses, le shaman, le sacré,
ailleurs, en d’autres temps, en d’autres lieux, selon le vent des surperstitions, je devenais l’infâme, le non-mort, le non-vivant, la cause des maux du monde, l’incarnation du mal, celui qui vit dans le noir, celui qui parle aux démons, un sorcier maléfique, un être immonde
on m’a vénéré, on m’a conspué
on m’a idolâtré, on m’a révéré
on m’a craint, on m’a fui, on m’approchait
on voulait être touché par ma grâce
on a chanté ma gloire, scandé ma grandeur
psalmodié mon nom, mes milliers de noms
des prières aux vivants
des prières aux morts
des chants d’espoir sous le soleil
des chants bénis dans les grottes
des chants ignobles la nuit
dans les clairières aux sortilèges
on m’a peint sur des parois de roche, on m’a effacé, on a sacrifié des vierges pour moi, on voulait boire mon sang, j’ai eu des femmes, mais je suis stérile, quelle ironie! j’ai eu des hommes, je me suis rassasié, je m’en suis écoeuré, je les ai fuies, je les ai écartés, on m’a tout donné, on m’a tout ôté, j’ai été à l’origine de bien des cultes sans le vouloir, sinon en le voulant
et j’ai été piétiné, transpercé, griffé, croqué
infesté de parasites, vérolé, mangé par les vers
j’ai connu la faim, la soif, j’ai déliré, j’ai halluciné
et j’ai marché, marché, marché et marché encore
j’ai hurlé de peur, de désespoir, j’ai pleuré, j’ai gémis
j’ai été égorgé, brûlé, lapidé, lacéré, fouetté
et j’ai beaucoup ri, je me suis livré à tous les plaisirs
j’ai aimé passionnément, j’ai été fou d’amour
j’ai crié ma joie d’être, j’ai embrassé la nature
et j’ai continué de vivre, je suis revenu à la vie
tant de fois mon corps s’est reconstruit
s’est cicatrisé comme les cercles d’un arbre
et je n’ai jamais vieilli, mon horloge corporelle s’est arrêtée à la fin des trente ans, je suis un humain âgé de millions d’années dans un corps à la frontière des quarante ans
je suis une aberration de l’espace-temps
un fil improbable dans le tissu de l’humanité
un sentier sinuant dans la forêt de l’évolution
une métamorphose à travers les ères géologiques
ce labyrinthe, cet interminable passé depuis Lucy
ah! Lucy, diamant dur à l’autre bout de mon être
ces méandres de mémoire, ces sinuosités de souvenirs
je m’y suis égaré, je m’y suis perdu, je m’y suis retrouvé
ce dédale, l’ai-je rêvé? l’ai-je imaginé? l’ai-je inventé?
je suis un accroc d’immortalité que je ne peux expliquer
puis un jour, après des lunes à l’article de la mort, j’ai ouvert les yeux et j’ai vu dans le regard de celle qui m’avait soigné le reflet de Lucy et ma vie impossible s’est mise en place, ce regard me rattachait à celui de Lucy par-dessus l’abîme de l’espace-temps, ce regard a été ma sortie du labyrinthe, j’ai cessé d’être cet être indéfini transformé et chahuté dans les couloirs de l’évolution, je savais ce que j’étais, mon esprit s’est éclairci
les brumes du passé se sont écartées sous la lumière de l’holocène
Hawkwind, Blue Shift
extraterrestre dans notre monde tu resteras
tel qu’en moi-même le suis et le resterai
Mon doux que je te reconnais……
Mon doux… ça fait longtemps que j’ l’ai pas entendue celle-là, expression très québécoise peu courante chez les francophones de l’Ouest, en tout cas chez la jeune génération