publier un poème, disait l’autre, me souvient plus qui, c’est comme lancer un pétale de rose du haut du Grand Canyon et espérer que l’écho réponde,
écrire, m’a vous dire, reste une activité bien ingrate, on est tuseul penché sur son travail, on sait que le gros de ce qu’on produit ne vaut pas grand-chose, on sait aussi que sans la répétition frustrante de ce pas grand-chose, comme on frotte deux bouts de bois ensemble ou qu’on frappe deux pierres l’une contre l’autre, l’étincelle du feu créateur ne jaillira pas,
ce pas grand-chose, c’est le terreau duquel germera, on l’espère, la fleur d’un beau texte,
c’est de l’engrais, ce pas grand-chose, et plus souvent qu’autrement y en faut des tonnes pour qu’une fleur unique, singulière et précieuse prenne racine,
or donc, extrait de l’amour, ouh ah! dans mes fissures, ce petit poème lancé du haut de ma tour d’ivoire en plastic, histoire d’en capter le soupir d’un écho … attendre …
avec toi, Manon Duval, suave parfum
ton jeancoat ouvert, ton ventre nerveux
nous traversions la passerelle ensoleillée de l’ UQTR
une lumière rose et mauve enflammait tes joues fougères
tes totons kakis tiltaient com des atlas
tu m’expliquais l’implausibilité de l’amour interdit
et tu jouissais telle une âme exaltée
en haletant sans pudeur sur Noam Chomsky
(oui, j’ai permuté deux mots de la version originale et j’en ai changé un autre, que voulez-vous, on trouve toujours à redire)
écrire, c’est aussi ma liberté, je ne le répéterai jamais assez, mon terrain de jeu, mon parc d’attractions, mon havre de paix, ma cachette, ma voie royale, mon laboratoire, ma fusée interstellaire, ma porte de sortie, ma poudre d’escampette, ma fève magic, mon conte de fée, mon dessin sans dessein, mon bateau ivre, ma lumière au bout du tunnel, ma maîtresse irascible, ma servante sexy, mon alcool, ma drogue,
c’est un nuage qui prend les formes de mon imagination, la mer à boire du langage sur laquelle je vogue comme un pirate insoumis, une contrée où je plante mes comparaisons comme des poteaux télégrafics, un jardin de métafores que je cultive et que je taille avec l’amour d’un vieux jardinier,
c’est ma délivrance, mon cri de joie dans un monde qui peine à rire, ma raison fichée solide dans le réel piétiné par les affolés, ma mémoire mise à jour et mon avenir bleu poudre, c’est mon présent éfémère que j’éternise dans l’immense immensité de l’univers,
c’est tout ça et bien plus encor
je sais pas si c’est vrai qu’en vieillissant on apprécie mieux les « classiques », mais dans mon cas c’est faux, parce que j’écoute et j’aime la musique classique depuis que je suis adolescent
j’aimerais quand même que tu nous dises si toi ,personnellement ,tu as déjà écrit en étant totalement dans la béatitude du bonheur , je veux dire pendant que tu le vis ?
la béatitude du bonheur, j’ai jamais connu ça, heureux d’être en vie, oui, du genre à pas trop m’en faire, à croire que les choses finissent toujours par s’arranger, mais c’est pas de la béatitude, c’est accepter la vie telle qu’elle est, avec ses joies et ses peines, c’est traverser ses moments difficiles avec une certaine dose d’optimisme et de confiance en soi,
mais béatitude? naaan, connais pas,
que je sois heureux ou que je sois triste, ça n’empêche pas l’écriture, ça peut en colorer la facture (je pense que ça, ça répond à ta question), mais ça n’a pas d’incidence directe sur l’acte d’écrire,
oui c’est une des réponses…
étonnant que tu n’aies jamais eu ce moment un peu stupide , le mot béa conviendrait mieux , de bonheur .on peut l’avoir devant un paysage ,avec une personne ou alors il vous tombe dessus comme ça , une sorte de bulle éphémère.
ce n’est pas la béatitude du bonheur en tant que telle que j’ai déjà ressentie, plutôt la révélation de la joie d’être au monde, comme je le note dans le passage intitulé justement « la joie d’être au monde » dans mon texte fragments d’enfants massacrés
sensation, sentiment, révélation, nomme ça comme tu veux, que j’ai ressentie plusieurs fois, comme un après-midi que je travaillais sur une ferme au Québec, je ramassais des pierres avec une fourche et les déposais dans une brouette, un nettoyage de la terre avant le labourage, j’étais tuseul au milieu du champ et, promenant mon regard sur l’étendue autour de moi, le ciel immense au-dessus, j’ai été empli de joie, pas de la béatitude, de la joie, la joie d’être en vie et de faire partie de la vie qui vibrait tout autour,
voilà pourquoi, soit dit en passant, je considère l’Hymne à la joie de Schiller mis en musique par Beethoven comme une des expressions artistiques les plus sublimes de cet état d’élévation, ou d’allégresse, ou d’expansion de la conscience …
oui c’est ça la joie qui te submerge à un moment donné ,appelle la comme tu veux , instant fugace par excellence !
par contre chacun la restitue en musique de manière différente , perso Beethoven je m’en contrecarre ah ah
parait qu’en vieillissant on aime les « classiques » je dois pas être assez vieille parce que …
un écrivain , je ne sais plus lequel , disait que l’écriture lui permettait aussi de faire face à la solitude .
souvent les écrivains sont meilleurs lorsqu’ils sont dans une attente , un peu fermés sur eux mêmes ,que lorsqu’ils sont en plein dans la joie de vivre et le bonheur .
est ce que le bonheur endort l’écriture ? ou est ce que celui ci se traduit moins bien quand il est présent . Après oui l’écrivain peut se le remémorer et l’écrire ,le décrire
une belle page sur ton « métier »
c’est ma joie d’être libre dans un monde qui s’évertue à s’emprisonner, ma joie d’être en vie, de sentir la vie couler dans mes veines,
Camus disait qu’il faut être heureux pour pouvoir affronter un monde voué à la guerre et à la tyrannie, qu’il faut célébrer la vie, le soleil, le vin, le plaisir sensuel pour être à même de dénoncer les injustices et de redresser les torts,
ce n’est pas le bonheur qui endort l’écriture, c’est la complaisance dans le bonheur, l’autosatisfaction, le contentement de soi,