Le poète est un mensonge qui dit toujours la vérité.
Jean Cocteau
je ne sais pas quoi écrire, je ne sais plus quoi écrire, j’écrirais n’importe quoi, le passé, le présent, le futur, l’ici ou l’ailleurs, tout et son contraire que ça ne ferait pas un pli sur la différence, pourtant j’écris beaucoup, ou plutôt régulièrement, c’est une habitude, un rite, une accoutumance, une seconde nature, j’écris beaucoup, mais pas assez, ce ne sont pourtant pas les sujets qui manquent, ni les thèmes, ni les motifs, ni les raisons, ni même les excuses, tout dans mon cas est affaire d’écriture, tiens, une anecdote liquide, on a manqué d’eau pendant près de trois jours, une racine de l’arbre vénérable qui s’élevait devant notre building a cassé un tuyau, l’eau s’est mise à gicler com un mini geyser sur le terrain et a inondé la rue le temps qu’une équipe coupe le débit, plus d’eau dans le building, plus une goutte d’eau, les robinets à sec, c’était un mardi soir, le 3 de ce mois-ci plus précisément, et dès le lendemain au petit jour une citerne mobile d’eau potable était parkée dehors, histoire de s’approvisionner en attendant, ce que c’est que de vivre dans un pays développé quand même, je disais justement à mes voisins et voisines de pas trop se plaindre, y a du monde ailleurs sur Terre qui non seulement n’ont pas d’eau à portée de robinet, mais qui quand il y a pénurie et s’il y a approvisionnement sont rationnés, nous on s’est servi sans contrainte, si bien que le lendemain jeudi une seconde citerne remplaçait la première qu’on avait vidée, je disais aussi à mes voisins et voisines qu’on est tellement dépendants de notre infrastructure que quand ça pète on est un peu perdu, on est un peu mélangé, ça nous chamboule la routine, ça nous dérange le ronron, com de pas pouvoir prendre un bain ou une douche, y fait chaud, on a sué, on est collant et on peut que se rincer à l’éponge com dirait l’autre, et verser une chaudière d’eau dans l’évier pour laver la vaisselle, et déverser une chaudière d’eau dans la toilette pour la flusher, on prend tellement tout pour acquis, toujours est-il que jeudi les travailleurs ont coupé l’arbre, adieu arbre vénérable, je t’aimais bien devant ma fenêtre, ainsi il y a des années de ça (je pense avoir déjà raconté cette histoire, dans un de mes livres? dans mon ancien blogue Opera? dans un courriel?) j’avais fait la connaissance d’une jeune cantatrice au Festival Fringe, elle se produisait à la Fourche accompagnée de son pianiste électric, elle chantait des arias classics, sa performance m’avait envoûté, j’ai pas pu m’empêcher de l’aborder, on a placoté le reste de l’après-midi, elle est allée souper avec son pianiste, j’ai été souper chez moi, elle se prosuisait à nouveau en soirée, je suis revenu à la Fourche pour être à nouveau envoûté, elle a passé une bonne partie de la soirée en ma compagnie, elle buvait de l’eau, moi du café, elle m’a chanté quelques arias a capella, son pianiste était parti faire la fête ailleurs, elle affirmait voir les animaux totems des gens, moi, disait-elle, j’étais accompagné par deux loups, elle par deux corbeaux, elle partait le lendemain pour le Festival Fringe de Calgary, ou d’Edmonton, puis s’en retournait montréalaise au Québec, vous comprendrez que je l’ai fantasmée, moi déjà vieux, elle encor jeune, j’aurais pu être son père, la jeunesse vrille com diamant au coeur de la maturité, environ une semaine plus tard je m’adonne à regarder dehors et qui c’est qui vient se poser sur une branche devant ma fenêtre? deux corbeaux, l’un qui regarde vers le nord et qui croasse, l’autre qui regarde vers l’est et qui lui fait écho, puis ils s’envolent, je dis aux amis présents que ça, c’est ma cantatrice qui traverse Winnipeg en route pour le Québec, «ah, come on, man! it’s just a coincidence,» dit l’un, «yeah,» je me contente de répliquer, c’est com en écriture, tout est et rien n’est, toute vérité est dans les mots et les mots ne disent jamais la vérité, et c’est à ça que ça sert, un arbre, à tisser des liens dans la noosfère, leurs branches des antennes cosmics, et celui-là devant chez moi n’est plus, après l’avoir coupé les travailleurs ont creusé le terrain pour lui arracher sa racine coupable, puis ont recouvert le trou de panneaux de bois avec deux barrières de sécurité pour pas qu’on tombe dedans, le vendredi une équipe a réparé la canalisation et on avait de l’eau en après-midi, reste le trou, ses panneaux et ses barrières, ça sera rempli après la fin de semaine, tout est rentré dans l’ordre et mon ordre à moi, en écriture s’entend et pour le moment, c’est d’écrire en blocs, pourquoi? parce que, pour combien de temps? sais pas, c’est une expérience, j’explore, j’arpente, je prospecte, j’essaie voir et je revois ma jolie cantatrice et lui envoie une bagatelle dans les remous de l’espace-temps,
elle est blonde et dorée
elle est belle à croquer
écoute-la chanter
et se lier à l’été
fait trop chaud pour valser
fait trop soif pour marcher
trop beau pour raconter
ce que d’elle j’ai rêvé
(sur l’air de Stand the Ghetto de Bernard Lavilliers)
les arbres en France on les coupe même si ils ne gênent pas …mais si dans un futur lointain pourraient gêner ! et puis ils font des feuilles qui tombent et ça c’est rédhibitoire pour les services publics !
l’histoire des corbeaux ,je ne sais pas pour les autres , pour moi c’était il y a dix ans ..déjà ….
l’histoire des corbeaux, eh oui, dix ans déjà…
déverser une chaudière d’eau dans la toilette pour la flusher
la française se marre ah ah , oh pardon ..mais ah ah
comme tu dis nous sommes vraiment devenus dépendants de tout ! les pannes de réseaux sont aussi très dures quand elles durent plus d’1 jour .
ton histoire des corbeaux m’avait marquée coincidence ou pas , l’invisible devenant visible est bizarre .
dis donc vous avez un sacré respect pour vos arbres , chez nous il aurait été coupé net ,centenaire vénérable ou pas et bien avant de faire des dégâts .
une des bonnes chansons de Lavilliers
bonne introspection
c’est pas qu’on respecte les arbres, c’est qu’on les laisse tranquilles tant qu’y sont pas dans le chemin d’un promoteur parce qu’alors là, coupe
elle m’a marqué moi aussi cette affaire de corbeaux, j’arrive pas à me rappeler où et quand je l’ai racontée la premiềre fois