septembre, je commence ma douzième année, que je ne finirai pas, mais ça c’est une histoire pour une prochaine fois, comme cour optionnel j’ai choisi le cinéma,
on est une quinzaine dans la classe, le prof, à peine dix ans notre aîné, nous demande de faire part au groupe du plus récent film qu’on a vu,
chacun chacune y va de son film, on nomme des grands noms, on cite des films importants, on veut faire bonne impession, on veut montrer qu’on connaît son cinéma,
arrive mon tour, les films importants, je les avais vus, les moins importants aussi, parce que du cinéma j’en mangeais, chaque semaine, au Régal, un petit cinéma du coin, où, les vendredis et samedis de 18 heures à minuit et le dimanche de midi à 18 heures, on présentait trois films, avec intermissions comme de raison et, selon la durée du programme, des Looney Tunes, les chefs-d’oeuvre com les navets, les péplums (c’est dans Les travaux d’Hercule avec Steve Reeves que je suis tombé amoureux de Sylva Koscina), les westerns, les films d’aventure, d’horreur (les productions Hammer étant un favori), de SF, de fantastique, les drames, les romances, les policiers, les comédies, en couleurs, en cinémascope, en noir et blanc, je tirais plaisir de tous,
j’aurais pu moi aussi nommer la dernière oeuvre majeure qui avait gracié notre écran de quartier après avoir fait le tour des grandes salles, mais voilà, ce vendredi-là, le troisième film à l’affiche du Régal, le tout dernier que j’avais vu avant la classe, c’était Roustabout avec Elvis Presley, L’homme à tout faire en français,
sourire de condescendance du prof, m’a vous dire, ricanements dans la classe, une fille prit ma défense, fan de Presley elle avait vu Roustabout elle aussi et l’avait bien aimé, même si, concédait-elle, avec raison, c’était un film médiocre, — ah! je ranimerai son visage dans ma mémoire et lui écrirai un poème rétroactif!
peut-être que j’étais pas à la bonne place, me dis-je, ici on discutait cinéma avec un grand C, on était sérieux, on était sélectif,
moi, vrai de vrai, j’admirais aussi bien Le Mépris (de la peinture en mouvement) ou Le Septième Sceau (de la filosofie sur pellicule) que je riais des escapades d’Abbott et Costello, de Jerry Lewis ou de Darry Cowl, partais en mer avec Long John Silver, traquais un criminel dans les ruelles de New York, débarquais sur une autre planète, buvais le sang avec Dracula, affrontais démons et merveilles avec Jason et ses Argonautes, me prenais pour James Bond avec Sean Connery et Capitaine Fracasse avec Jean Marais, puis murmurais Rosebud en laissant échapper de ma main une boule à neige,
tout ça, pour moi, c’était, c’est encor le cinéma dans toute sa richesse, dans toute son abondance et dans toute sa pétulance et j’allais le leur signifier, prof inclus,
mais quelques semaines plus tard je quittais l’école pour toujours, une histoire comme j’ai dit que je raconterai une prochaine fois
ah zut douzième année « scolaire » effectivement , mal lu
hein ! à douze ans tu choisis cinéma ? mais c’est spécial au Canada de faire de telles options et si jeune ?tu as eu le droit de la quitter l’école , si jeune ! ben ça alors
tu as raison d’aimer tout le cinéma sans être sectaire , et de l’avoir exprimé
à une époque il n’était pas bon ton d’aimer Louis de Funès , pourtant Bergman me faisait (certains ) bailler ,alors que lui me faisait marrer ….mais rire c’était pas dans l’air du temps qui avait opté pour le ciné intellectuel pur et dur
j’avais pas douze ans, j’étais en douzième année, on compte les années scolaires dans leur ordre numérique, ici, pas à l’envers comme chez vous, on commence en première année et on passe à la deuxième, puis à la troisième, etc., (élémentaire, 1 à 7; secondaire, 8 à 12), donc, en douzième année, la dernière année du secondaire , après c’est le collège, j’avais 15 – 16 ans, pis oui, à cet âge-là je pouvais quitter l’école